De l'or en beurre : la cotation Atla spot de cette matière première a atteint 8 120 € la tonne jeudi dernier. La hausse brutale de ce produit emblématique poursuit la spirale dans laquelle la filière des métiers du goût semble enfermée. Dès le printemps, le chocolat avait commencé à animer les fournils et laboratoires. Si cet ingrédient phare de la filière peut être utilisé dans de moindres proportions voire substitué, c'est bien moins le cas de la matière grasse laitière, perçue comme un signe de qualité supérieure par les consommateurs.

Des crises suscitant interrogations et suspicion

Le caractère récurrent des épisodes de crise pourrait cependant rendre séduisantes ces alternatives, présentées comme plus économiques et vertueuses pour le climat par leurs promoteurs. Si ces difficultés nourrissent de façon partielle l'attrait des solutions végétales, elles alimentent avant tout le flot de la suspicion, de par leur temporalité et leurs justifications. La fin d'année est en effet le point d'orgue de ces tensions, qui s'expliqueraient cette fois par la conjonction d'une maladie touchant les exploitations européennes (la fièvre catarrhale ovine (FCO), transmise par un moucheron et atteignant les 3 743 foyers sur le territoire français au 26 septembre) et d'une demande solide outre-Atlantique ainsi qu'en Chine.

Si la FCO ne dégrade pas la sécurité sanitaire des produits laitiers, elle perturbe la vie des exploitations et réduit leur activité pendant plusieurs semaines, en plus de provoquer des avortements et des vêlages précoces. De quoi accélérer la baisse de collecte observée à l'échelle mondiale, en plus de freiner la production de beurre, qui avait déjà reculé de 1,6% sur le reste de l'année. Cette dernière se révèle en effet peu attractive vis à vis du fromage et de la crème : elle génère d'importantes quantités d'un co-produit -la poudre de lait- que les industriels peinent à valoriser. Globalement, la filière laitière est confrontée aux problèmatiques liées au dérèglement climatique, avec des baisses de rendement lors des épisodes de sécheresse et une hausse des prix de l'alimentation, ainsi qu'à une faible rémunération vis à vis des coûts de production réels. Ces facteurs incitent de nombreux agriculteurs à cesser leur activité, ou à la réorienter vers des produits plus rémunérateurs.

Lactalis annonce réduire sa collecte d'ici à 2030

Ce phénomène d'abandon pourrait être amplifié par l'attitude des géants du lait, tels que Lactalis : le groupe familial mayennais a annoncé, la semaine passée, réduire de 9 % sa collecte en France d'ici à 2030. Près de 900 agriculteurs seraient concernés. Pour justifier cette décision, l'entreprise indique qu'elle souhaite se recentrer sur les produits de grande consommation français, mettant de côté les fabrications d'ingrédients industriels destinés à l'export, qui peinent à être valorisés en raisons des aléas des marchés mondiaux. Un véritable coup de massue pour la filière, dont une partie se trouve contrainte à chercher de nouveaux débouchés. Ce choix s'avère d'autant plus difficile à comprendre pour les producteurs et les utilisateurs que des besoins réels en matière première française demeurent.

Faute de disposer d'approvisionnements locaux sécurisés suffisants, les industriels sont effet contraints de se tourner vers des origines étrangères depuis plusieurs années. Si le recours à des beurres et crèmes originaires d'Europe de l'Est était fréquent, cette région pourrait se trouver rapidement supplantée par l'attractivité tarifaire des Etats-Unis ou de la Nouvelle-Zélande. Les cours y sont en effet 19% moins élevés côté américain, et même 25% plus faibles en Océanie. 
De quoi compenser largement les coûts induits par le transport... et augmenter l'impact écologique des produits de pâtisserie ou de viennoiserie. Cette tentation concerne également la filière artisanale, particulièrement sujette à la descente en gamme ces deux dernières années. 

Afin de maintenir leurs prix, ou du moins contenir les hausses, de nombreux boulangers-pâtissiers ont renoncé à des marqueurs de qualité tels que les AOP. La solidarité avec les agriculteurs français, souvent prônée par la clientèle et les artisans, s'arrêtant dès lors que des seuils tarifaires psychologiques sont atteints, ces choix se sont imposés aux chefs d'entreprise... avec des conséquences réelles à moyen et long terme, car il ne suffira pas de faire son beurre sur le plan du compte d'exploitation pour être certain d'en disposer afin de fabriquer croissants et autres gourmandises.