La convergence des luttes n’aura pas lieu. Galvanisés par l’attention qu’étaient parvenus à capter les agriculteurs, exprimant leur colère par des actions spontanées ou organisées sur l’ensemble du territoire, certains boulangers pensaient que l’attention portée au secteur alimentaire leur bénéficierait.

Mieux, ces événements, devenant aux yeux des artisans une étincelle, auraient permis de relancer un mouvement de protestation initié l’an dernier : le 23 janvier 2023, environ un millier de boulangers avaient manifesté à Paris pour tenter de défendre une extension des dispositifs d’aide développés par les pouvoirs publics.

L’ambition d’une reprise du mouvement n’aura pas dépassé le stade des discussions sur les réseaux sociaux.

La boulangerie, un commerce plus si essentiel

La pression entretenue sur les agriculteurs par l’exécutif, et les résultats obtenus en quelques jours, renvoient la boulangerie à une image peu flatteuse d’elle-même : ceux que l’on avait reconnus comme étant des « commerces essentiels » au coeur de la crise liée au Covid-19 se révèlent en définitive déclassés. Leur caractère indispensable s’est en effet étiolé, la consommation de pain ayant reculé de façon constante au cours des dernières décennies et la concurrence (grande distribution, réseaux) ayant offert une alternative toujours plus visible et semblant satisfaire les attentes d’un nombre croissant de consommateurs.

Le constat est d’autant plus flagrant quand l’on prend de la hauteur, en plaçant la boulangerie face aux alternatives proposées par le reste du secteur agro-alimentaire : en plus des pains pré-emballés, toutes sortes de céréales peuvent remplacer les sucres lents apportés par le pain. Dans ce contexte, les leviers d’action des artisans demeurent très limités : à l’inverse des agriculteurs, une cessation d’activité -temporaire ou définitive- affecte peu son environnement et impacte au premier titre le chef d’entreprise et ses collaborateurs.

Boulangerie et monde agricole, une relation en question

Associer les colères des deux professions se révèlerait être, en définitive, une erreur : ces univers sont liés mais partagent peu de choses, si ce n’est la nécessité de faire évoluer leurs pratiques pour répondre aux enjeux de l’époque. Les boulangers, mis à part ceux ayant fait le choix d’entretenir une relation intime avec le monde agricole (à l’image des paysans-meuniers-boulangers ou des professionnels travaillant avec des matières premières approvisionnées en circuit-court), ont massivement épousé les codes d’une alimentation globalisée, où l’utilisation de matières premières importées et d’ingrédients de contre-saison relève de la l’habitude plus que de l’exception.

Ce lien à la terre -et par la même occasion à la mission de sélectionneur de matières premières de l’artisan- continue de se distendre, allant même jusqu’à se rompre, sous les injonctions marquées d’une nécessité de maîtrise des coûts (avec la volonté d’imposer des conditions d’achat inéquitables aux acteurs de l’amont, comme c’est le cas… au sein de la grande distribution). La crainte entretenue par la meunerie est désormais de voir le phénomène s’étendre à la farine, la structuration en cours de réseaux et d’artisans aux multiples points de vente les confrontant à de fortes capacités de négociation. Les marges traditionnellement obtenues au travers de la filière artisanale ne seraient plus qu’un lointain souvenir.

Le meunier, futur fédérateur de filières ?

Le salut de ces mêmes entreprises pourrait, en définitive, tenir à leur capacité de reconnecter les boulangers au monde agricole et aux filières qui peuplent le territoire.

Au delà des labels qui se sont répandus sur les sacs de farine, le meunier devra alors mener un changement radical de doctrine, abandonnant le rôle d’acteur central pour mettre son savoir-faire au service des relations multi-directionnelles, transparentes et équitables. Une révolution culturelle expérimentée au travers de démarches telles qu’Agri-Ethique ou Terres de Sources en Bretagne, mais qui devront désormais trouver un écho plus large pour que la communauté de destins entre les différents maillons de la filière blé-farine-pain (et plus largement des fournisseurs) soit prise en compte avec plus de vigueur.